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26/11/2007

Petit historique des événements

25 novembre, Punta Arenas au Chili. Je vole pour Santiago demain matin à 8h30. Ensuite je n´ai pas encore de détail sur les vols suivants. Normalement je vais à Buenos Aires pour enfin prendre un vol pour Paris. Pas sûr que je revienne avant le 28.

Voilà comment l´Explorer, bateau naviguant depuis 40 ans en arctique et antarctique, en amazonie, en Islande a sombré.

22 nov - entre 10 heures et minuit

Nous traversons de la glace à vitesse normale. Comme d´habitude depuis une semaine. Ca secoue un petit peu. Juste une ou deux secousses qui bougent un peu le bateau plus fortement que les autres. Rien de spécial. Pas facile de dormir, ma cabine se trouvant au niveau de la mer, quand nous traversons la glace je le sens. Mais j'adore ça. Par le hublot on voit même les blocs de glace. J´ai des boules Quies pour le bruit. Le plus merveilleux c'est quand le fait de jour et qu'on croise des otaries léopard on des pinguoins sur les icebergs ou les blocs de glace.

23 novembre - 0h05

La sonnerie d´alerte intervient en pleine nuit. Ordre de rejoindre la salle de conférence du bateau après avoir mis des vêtements chauds et pris le gilet de sauvetage. Mon compagnon de cabine oublie son gilet, je lui donne. Rassemblement de tous les passagers. Je mets ce que j´ai de plus chaud, j´oublie mon bonnet. Je prends mon gilet de sauvetage direction le point de rassemblement. Je ne pense absolument pas à prendre mon portefeuille ou mon appareil photo. Rétrospectivement, j'ai eu raison, l'entrée d'eau était dans la cabine à côté ... de la mienne.

23 nov - entre minuit et une heure

Le capitaine nous explique que les détecteurs ont indiqué une entrée d´eau dans les coques. Apparemment pas plus grande que la taille d´un poing fermé, les ingénieurs à bord essaient de colmater. Le niveau d´eau baisse, l´eau est entrée dans un des compartiments (le plus petit) du bateau. Tous les compartiments sont censés être étanches.

23 nov - 0h30 - mayday, mayday

Un message de détresse est émis au niveau mondial. La position du bateau est bien sûre connue par satellite. Des réponses sont reçues de partout dans le monde (y compris Rome). Un bateau norvégien se trouve a environ six heures de route. On saura plus tard qu´il s´est mis en route vers 2h30 et qu íl a navigué à vitesse maximale (22 noeuds) au lieu de sa vitesse de croisière (15 noeuds).

23 nov - entre une heure et deux heures

Ca ne s´arrange pas, en fait la fuite est plus importante, la petite fuite concerne la deuxième coque, celle de la coque externe est bien plus grande (sans doute environ un mètre en fait). Toutes les lumieres se sont éteintes, le générateur de secours s´est mis en marche. On se raconte des blagues entre nous pour tenir le coup, il faut juste attendre.

Sans doute à ce moment là, le chef de l´expedition discute avec les argentins et les chiliens pour les secours. Les argentins font chier. Ca sera les chiliens.

23 nov - entre 2h00 et 3h30

Le chef d'expédition nous dit que le bateau ne sombrera pas, les compartiments sont étanches et que nous sommes loin de quitter de le navire, c'est ce que l'on fait en dernier. En fait les autres compartiments seront inondés par l'eau sortant par ... les toilettes!

Le bateau penche très sérieusement, il est incliné d'environ 20 degrés.

Les deux moteurs se sont arrêtés, ordre est donné par le capitaine de quitter le navire vers 3h, tout le monde vers les canots de sauvetage. Tout se fait dans l´ordre. Pas de panique.

J'arrive par hasard au canot numéro 1 (on ne nous a pas alloués de canot comme lors de l'exerice de sécurité le premier jour), on me demande en criant si je suis bien dans le canot numéro un, je réponds que je n'en sais rien, et je monde dedans, bien au milieu, dans tes rêves que je tomberai à l'eau.

Les moteurs de trois des quatre canots de sauvetage ne démarrent pas. Celui de mon canot de sauvetage lui, a demarré sans problème. Par contre la pompe à eau (pour pomper l'eau si le canot se remplit) ne fonctionne pas ou bien le staff ne sait pas s'en servir.

Tout le monde s´entraide, même tassés dans le canot de sauvetage on se fait de la place, on partage les couvertures, pour que tout le monde soit protégé et touve sa place en sécurité. A ce stade le capitaine est responsable du bateau et le premier officier est reponsable de mettre tout le monde dans les canots de sauvetage.

Je vois le capitaine à l'avant du navire, il surveille que tout se passe bien. Je lui fais signe que tout va bien.

8 Zodiacs sont égalements mis à l´eau sans problème.

23 nov - Entre 3h30 et 4h

Analyse de la situation, pour l´instant les vagues et le vent ça va. J´ai chaud, c´est l´adrénaline. Je me dis que si le temps empire ça va se compliquer. Je me force à regarder ma montre régulièrement, malgré la perte de chaleur que ça engendre, si je survis, je veux me souvenir.

Joli le lever du soleil, heure prevue 3h23. C'est marrant je me suis levé à cinq heures tous les matins pour regarder les albatros qui suivent le bateau et je n'ai jamais vu de lever de soleil, le seul que je verrai c'est celui de ce jour là.

Le moteur du canot de sauvetage a démarré, ce n'est pas le cas des trois autres canots.

J'ai presque promis à un anglais (Michael) que si l'on survit à ça je pourrais bien soutenir l'équipe d'angleterre de rugby à l'avenir. On rigole.

Je partage mon canot avec deux anglais, deux canadiens, et pas mal de membres d'équipage philippins, et le premier officier suédois (il est derrière moi, c'est lui qui m'a raconté, il m'expliquera aussi que plus on est gros plus peut survivre longtemps, car on est difficile à congeler). Nous sommes tassés dans les canots de sauvetage. On divise tout le monde en deux. Une partie dans les zodiacs.

Les anglais vont dans un zodiac avec la fille qui prenait des photos avec son Pentax car elle n'en revient pas, et réagit bizarrement. Je refuse d'aller dans le zodiac, non non, je reste dans cette coque de noix démodée (pas vraiment dernier cri le machin) elle est insubmersible et ya l'eau et la nourriture. En plus en zodiac je serai encore plus éclaboussé par les vagues.

Je récupère une couverture, je rends donc le morceau de couverture que Bob et Cheryl m'avait gentiment partagé, chacun la sienne. Toute façon les couvertures ça ne sert qu'au début, après elle est trempée à cause des éclaboussures.

Distribution des couvertures de survie (trop petite pour moi avec le gilet de sauvetage, je ne parviens pas à mettre la tête dedans, en plus elle a un petit trou dans le dos). Je me demande pourquoi on a attendu si longtemps pour nous donner les couvertures de survie, c'est vraiment du temps perdu.

Je suis mouillé des mains et des jambes. A chaque vague je prends de l´eau de mer glacée sur le visage. L'eau est à moins deux degrés (ne deça ça serait de la glace!), le vent je ne sais pas, mais à cause des points de contact de ma couverture de survie avec le canot j'ai froid aux fesses (lol). En tout cas la température de la peau de mon visage est genre moins dix ou moins 15. Je me dis que de toute façon j'ai vécu en norvège et que le froid je connais.

23 nov - Entre 4h et 5h

Je commence à avoir vraiment froid. Vers 4 heures on nous prévient qu´un bateau va nous secourir dans trois heures environ. Je bouge les jambes et les bras sans problème mais seul mon torse a vraiment chaud.

Ensuite on me dit qu'il faut attendre deux heures environ, je n'y crois pas vraiment. Je m'impatiente. On se laisse dériver, le moteur au ralenti, ensuite à chaque fois on se rapproche du M/S explorer qui donne notre position. Lorsque le moteur semble vouloir stopper, mon ami Bob crie de ne pas le laisser s'arrêter.

23 nov - Entre 5h et 6h

J´ai vraiment peur de mourrir. J´ai très froid. Je pense à ma famille. Je pense que c'est con de mourrir à 50 kilomètres des côtes. Je pense que cette fois-ci j'ai poussé un peu le loin l'envie de découvrir le monde. On dirait que le vent a un peu augmenté et les vagues aussi. J´expire l´air de mes poumons dans la couverture de survie pour rester le plus chaud possible.

Je raconte une ou deux blagues à des amis pour leur remonter le moral.

5h30

A 5h30 les 14 membres d'équipage restés à bord pour essayer de sauver le bateau doivent quitter définitivement le navire, le capitaine en décide ainsi car ça devient vraiment dangereux.

23 nov -6h15 - un hélicoptère dans le ciel

(en fait il y en a deux, un chilien et un bresilien mais je n'en vois qu'un). Ca va déjà mieux, j´ai beaucoup plus chaud. Il va forcement se passer quelque chose, enfin quelqu´un. Plus tard les militaires chiliens m´ont dit qu´il s´attendaient a voir plein de morts dans les canots ou dans l´eau.

Le problème c´est pas la mer, les canots de sauvetage ça supporte même une tempête. Ton ennemi c´est le froid, c´est lui qui va te tuer.

6h30 - je vois une lumiere sur la mer.

Ce sont celles d´un bateau du national geographic (qui a change de route lui aussi), ils vont photgraphier et filmer le tout. Il suit le bateau norvegien qui va nous secourir. le bateau norvegien fonce vers nous a toute vapeur, bien au dela de sa vitesse de croisiere, il frole les 22 noeuds. Il a changé de route vers 2h30 du matin.

encore 5 miles

6h45 - Le Zodiac de Damien (historien a bord, il habite en france, c un anglais trop cool) vient nous voir pour dire que le bateau de secours est a 5 miles nautiques. Avec un peu de bol, c'est bon.

juste après - ca y est le bateau est tout petit mais je le vois au loin

Vers 7h30 je monte a bord d'un énorme bateau de croisiere norvegien. c(est le plus beau bateau du monde. jamais été aussi content de voir des gens que je ne connais pas. 9h je suis confortable sur le navire, couvertures, nourriture j´ai froid et vachement chaud. Sur les ecrans du bateau norvegien ils rappellent les consignes de securite. mort de rire. je pleure énormement.

Un café, un petit déjeuner, un whisky, un paquet de clopes et ça va mieux. Ya une américaine qui fait un malaise à cause du stress. Moi je pleure à répétition.

Des passagers du bateau norvégien font cadeau des vêtements secs. Personnellement le plus drôle c'est que à part le pantalon et les cheveux tout le reste est super sec. Toute façon ils n'ont pas ma taille.

J'arrive à envoyer un mail à mon beau-frère.

17 heures 30 le 23 toujours - blizzard, blizzard

Je dois monter de nouveau dans un bateau pour atteindre une base militaire chilienne. On enfile une combinaison de survie étanche. Il neige. il y a énormément de vent. version blizzard. Je ne sais pas pourquoi mais mon coeur bat la chamade. J´ai tout simplement peur de l´eau, de reprendre un bateau. Finalement arrivée sans encombre.

Les couvertures de survie du NordNorge (le bateau norvégien) sont bien plus modernes et étanches, même si je tombais à l'eau ça me protègerait.

Nuit du 23 au 24 nov - sur la base de l'armée de l'air Chilienne de l'Ile du Roi George

Dans la soirée je parle avec des gens de la télévision chilienne. Un militaire traduit et détourne quelque peu mes propos quand les questions concernent l'armée. Non je n'ai rien pensé de l'armée chilienne quand j'ai vu l'hélico, car moi je ne savais pas qu'il était chilien l'hélico. Et quand bien même il aurait été iranien ou nord coréen je l'aimais cet hélicoptère.

Je dors dans un gymnase, pas de vêtement de rechange, pas d´eau chaude. mais j´ai un matelas, des couvertures et des serviettes de toilette propres. On va même diner très mal à la cantine de la base. je marche dans la neige pour y aller. On se voit a la television.

Ca fait les gros titres sur CNN, au chili et dans la plupart des pays anglo saxons. Je ne sais pas si j´ai chaud ou froid. On joue au basket et au ping pong c'est très cool.

Les militaires nous amènent quelques bières en cannettes, c'est une des plus agréables de tout mon congé sabbatique.

le 24 nov - vers 17 heures

Je monte dans un avion Hercule C130 de l´aviation chilienne direction Punta Arenas au chili. Pas de toilettes à bord à part un tuyau pour les hommes, pas trop pratique je m'en suis servi 2 fois. Mort de rire.

On voyage avec la presse chilienne et un photographe de Reuters il me semble.

pendant le trajet je pleure à un moment (comme pas mal de survivants de ce machin à ce moment-là). Un cameraman m'a filmé (connard) et passe les images sur la télé chilienne TVN au journal du soir.

Accueil à l´aéroport de Punta Arenas. Accueil par le consul honoraire de france au chili, ca fait vraiment du bien de parler français.

Arrivée a l'hôtel à Punta Arenas

Pas moyen de téléphoner à l'international sans faire la queue à la réception, j'arrive pas à y croire. Pareil pour l'accès internet.

Je réponds a un journaliste de RTL qui a reussi à me joindre par téléphone via le consul. Juste qques questions, il me laisse parler, pas de drame. Bon boulot avec du respect.

J'aurai plus tard un journaliste de Paris-Match, pareil très respectueux. Il me dit qu'il est pas au bureau, qu'il utilise la ligne fixe de qqun d'autre, qu'il est bouclage etc. Pour rire je lui dis que ça doit être beaucoup de stress :)

Ensuite la fête, tout le monde est tellement heureux. Vin, bière, un peu de sommeil. Je n´arrive toujours pas a joindre ma famille.

On se parle entre passagers, encore et encore, sans tabou en fait, juste pour voir si les autres ont ressenti la même chose, et pour le formuler. Incroyable le lien qui s'est créé entre tous les passagers. Savez-vous qui ne me refusera jamais une cigarette ou quoi que ce soit ? N'importe lequel des autres passagers.

Enfin bon bref

Non seulement j´ai failli mourrir. non seulement j´ai eu peur. mais en plus je dois la vie au capitaine suédois de mon bateau qui, le voyant dériver vers de la glace a decidé de mettre à l'eau les canots de sauvetage (sauvant ainsi 154 vies) avant de ne plus pouvoir le faire (si le bateau se trouvait pris par la glace, c´était foutu). Merci aussi au bateau norvégien qui a changé de route pour foncer nous sauver.

Quant à savoir s´il y a eu des héros, oui, les ingénieurs qui ont essayé de réparer le bateau en sous-vêtements avec de l'eau glacée jusqu'à la taille, l´expedition staff de GAP adventures (notamment le chef de l´expedition), exemplaires, ils avaient la trouille, mais encore plus de courage. Et le capitaine, qui n´avait qu´une chose en tète sauver les 153 autres vies autres que lui-même, rien à foutre du bateau.

Aussi Damien (j'adore ce type de toute façon), l'historien du bord, qui a eu la gentillesse de venir avec son Zodiac nous prévenir qu'un bateau se trouvait à seulement 5 miles nautiques, même si je n'ai pas compris, j'ai juste vu sa main brandie montrant ses cinq doigts.

24 nov - vers 15 heures

Vers 15 heures le 24 novembre le M/S explorer a coulé, pris par les glaces, avec mon appareil photo à 8 000 euros.

Deux trois conneries pour se détendre

- Reponse type à un client qui n´est pas content : vous avez déjà passé 3 heures dans un canot de sauvetage en antarctique? non? alors ta gueule.
- Autre phrase type : tu as passé une bonne journée? réponse : nettement mieux que sur un canot de sauvetage en antarctique.
- Vous avez entendu quand la torpille a atteint le bato? euh non, j´avais mes boules Quies
- Shakelton était un enfant de coeur (explorateur anglais de l´antarctique)
- C´est a qui le telephone portable qui sonne? C´est peut etre le mien. Ah non, le mien est resté dans le bateau.
- Question de la télé Chilienne: voius avez ressenti quoi en montant dans les canots de sauvetage. réponse : j´ai cru que j´allais mourrir. question suivante?
- Autre question de la télé chilienne (ils sont dingues) : ca doit etre terrible vous avez perdu tous vos bagages. réponse : rien a foutre. question suivante?

Pensee du jour

Wow tu as eu chaud ce coup-ci. Euh pas vraiment. Par contre j´arrête les glacons dans le diet coke. Je veux même plus voir une piscine en photo.

pouf pouf.

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Message édité 6 décembre pour ajouter des détails que je ne veux pas ouvlier, notamment ceux racontés par le capitaine et son premier officier et remettre tout ce truc dans l'ordre.

Commentaires

Salut David,

"...naufrage au large de l'Antarctique... 154 personnes à bords... tous sauvés... dont un français" (Pujadas 20h00).
J'apprends 5 jours après que le français à bord, c'est toi. Merde!!!

Qui n'a pas vécu ce que tu as vécu ne peut pas comprendre, donc je m'abstiendrai de tout commentaire. Ton récit incroyable m'a juste touché.

Quant à ton appareil photo et les millions de pixels perdus au fond de l'eau...humm... on m'a toujours dit que pour faire de belles photos, le plus important était celui qui était derrière le viseur.

Je continuerai à guetter ton blog pour voir les prochaines.

Franck

Écrit par : Franck S. | 29/11/2007